Quand la rue des prêtres pouvait vivre en autarcie

La rue des prêtres à OrgeletLa rue des Prêtres, aujourd'hui, a perdu son animation et ses activités de jadis. Elle n'est bordée que de maisons d'habitation qui ont conservé leur aspect d'il y a un siècle.

Ce sont de vastes demeures bourgeoises à grandes façades percées de nombreuses fenêtres... Elles communiquent avec la rue de l'Abbé Clément par un enchaînement de pièces dont la dernière bute sur un balcon qui domine un jardinet fermé par une grille monumentale. Du côté impair, c'est par des couloirs obscurs, des escaliers qui n'en finissent pas de grimper que l'on accède à la rue de la République.

Le bâtiment le plus important est la cure. Elle rappelle que la paroisse, il y a quelques siècles, était desservie par une société de prêtres dits familiers qui se recrutaient eux-mêmes. Pour en faire partie, il fallait être né et baptisé à Orgelet de parents bourgeois. Ils déléguaient, pour administrer la paroisse, l'un d'eux qui prenait le titre de vicaire perpétuel. Les familiers percevaient les dimes, les revenus d'un important domaine de prés et de champs. Ils étaient une vingtaine de familiers. Plusieurs avaient leur demeure dans la rue qui a gardé le nom de rue des Prêtres.

La rue des prêtres à OrgeletA la cure, il y a quelques décennies, logeaient le curé et son vicaire, tenaient réunion les adhérents du Cercle catholique qui pratiquait des activités sportives tel le basket, où la formation des « trois épis » remportait quelques succès en championnat ; culturelles aussi grâce à une troupe théâtrale cotée.

C'était aussi à la cure que les futurs premiers communiants connaissaient le trac du premier examen, celui de catéchisme... ou bien encore la joie ou la déception du joueur. Et oui ! dans la grande pièce du second étage trônait un billard qui était devenu une sorte de machine à sous par le truchement d'une petite quille placée au centre du tapis vert, surchargée de pièces de dix sous, mise des joueurs. La chute de la quille, heurtée par une boule renvoyée par la bande entraî-nait celle des pièces. Celles qui tombaient à l'extérieur d'un petit cercle dessiné à la craie sur le tapis devenaient pro-priété du joueur. La cure était devenue le « Casino » des jeunes qui s'y « enrichissaient » ou s'y « ruinaient ».

La rue des prêtres à OrgeletCette rue des Prêtres, avant la seconde guerre mondiale, pouvait vivre en autarcie. Elle avait des activités agricoles, commerciales et artisanales, témoin pour ces dernières la superbe enseigne, miraculeusement conservée au-dessus de la porte d'entrée d'un ancien atelier : Vincent Charron serrurier.

En face, ronronnaient les tours, mugissaient les rotatives dans des envols de copeaux bouclés de deux tourneries. Les porte-fenêtres aux vitres ornées de toiles d'araignée qui avaient piégé la poussière lais-saient entrevoir des person-nages fantomatiques qui effectuaient des gestes de robot pour que le buis devienne « bi-bi ». A deux pas se trouvait le Caiffa une boutique étroite à la devanture peinte en un vert agressif.

La rue des prêtres à OrgeletLe commerçant, pour ses livraisons d'épicerie en ville utilisait un triporteur à pédale. Une trompe criarde et enrouée avertissait de son passage. Juste en face une devanture lilliputienne annonçait une quincaillerie dans laquelle on accédait en descendant quelques marches d'escalier. On se croyait alors dans un tunnel tant il faisait noir et il était difficile de se rendre compte eue la propriétaire, la Berthe avait le visage barbu. Les gamins du quartier ne s'aventuraient dans ce magasin que pour acheter des pièges à souris qui leur servaient à capturer les oiseaux en hiver.

La rue des Prêtres avait évidemment son exploitation agricole, expression prétentieuse pour désigner la ferme du bon père Eie qui élevait quelques vaches... Et quand il n'en eut plus qu'une le brave homme l'approvisionnait en herbe qu'il allait faucher et qu'il ramenait dans un tombereau auquel il s'attelait. Toujours vêtu de son pantalon de velours rapiécé et d'une veste de la même couleur, il ne s'arrêtait de travailler que le dimanche pour faire sa partie de boules et à 80 ans « mettre son vin en bouteilles pour quand il serait vieux » ; hymne d'optimisme qui a immortalisé l'Elie.

André JEANNIN
Article paru dans Le Progrès