Rue de l'église plus communément appelée rue de la Pharmacie

Ancienne pharmacie à OrgeletTrès pentue, elle permet aux Orgeletains de la partie haute de la ville d'accéder à la place que domine de ses quelque cinquante mètres l'édifice religieux... Elle est plus communément appelée « rue de la Pharmacie» car depuis moins d'un siècle, on s'approvisionne, ici, dans ce magasin qu'avait installé M. Rodde, un petit homme boitillant qu'on apercevait à peine derrière sa « banque ».

Précédemment la pharmacie se trouvait rue de la République et à une époque antérieure encore rue du Château, en face de la mairie car sur la façade on voit maintenant ressortir par dessus le crépi, en grosses lettres, l'enseigne de ce magasin. Celui créé par M. Rodde occupait le rez-de-chaussée d'une importante maison bourgeoise, aux fenêtres des appartements s'ouvrant sur trois esthétiques balconnets en fer forgé.

En bas trois marches d'escalier en pierre butaient sur une porte centrale entourée de deux vitrines dans lesquelles, en boîtes factices, avec forces affiches publicitaires était exposé le très récent remède miracle. Balcons, devantures, grande porte métallique qui permettait l'accès dans la cour étaient de couleur noire comme si la pharmacie à cette époque, était l'antichambre des pompes funèbres.

En entrant dans le magasin ce qui surprenait d'abord était les multiples casiers, les placards bas, les tiroirs de toutes dimensions qui recelaient
les médicaments ; et puis ensuite les régards inspectaient la mystérieuse et superbe machine à calculer, or et noir, sur les claviers de laquelle pianotaient l'index et le majeur du pharmacien ; puis toute la main s'activait pour tourner une manivelle qui faisait apparaître à travers un rectangle de vitre devant le client ébahi le prix à payer.

Etrange aussi cet énorme registre à forte couverture cartons sur les pages duquel étaient inscrits régulièrement le nom des médicaments prescrits. En face de la pharmacie s'élevait une autre maison bourgeoise. Un escalier se cassait sur une cour sombre et humide bordée d'un mur garde-fou qui prolongeait contre un vide obscur et profond. Ce bâtiment a été incendié par les Allemands le 11 juillet 1944 et à son emplacement se tasse square.

A côté de la pharmacie, vers haut de la rue, s'ouvrait le magasin de fruits et légumes très fréquenté surtout par les enfants, car la propriétaire avait le monopole des bonbons nouveaux et avec quelques pièces on avait le choix entre la frasei qui déteignait et les zans qui endeuillaient les dents, les gros caramels, dont la pâte sucrée élastique emprisonnait la bouche.Chapelier à Orgeler

A deux pas la boutique du libraire, un homme rondouillard, rougeaud et chauve qui proposait du matériel scolaire sans fantaisie... qui piquait une colère quand envoyés par les plus grands, Ies gamins lui réclaient « deux sous de tête rouge » ou « cinq sous de graine à poupon ». En descendant vers l'église, avant la guerre 1914-18, une enseigne au nom d'Amye Chapelier cernée par deux hauts formes et un bicorne de gendarme intrigua it. C'était le dernier descendant de ces familles de chapeliers d'autrefois très réputés et qui pour ce genre de confection utilisaient la toile, la laine, la bourre de coton, les poils de veau... matières qui irritaient la gorge d'où la nécessité de pénétrer, tous près dans le café de la mère Thomas que fermait la tenancière, les jours de foire quand elle allait sur le champ de foire sous tente, servir des soupes appétissantes et chaudes aux maqi gnons.

D'en face s'échappaient des relents de vinasse et des roulements de tonnerre. Le Bébert, un petit homme électrique, coupait ses vins et remplissait les tonneaux qu'il maniait comme un jongleur. Seule des commerces la pharmacie a survécu, restaurée et moderne. La rue s'anime que lorsque descend de la mairie à l'église, un cortège de noce.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 12 décembre 1993
André JEANNI