L'orgue historique d'Orgelet

Orgue historique d'Orgelet (Jura)En 1627, après la reconstruction de l'église Notre Dame consécutive à l'incendie de 1606, il est, pour la première fois, fait mention d'un orgue, placé sur un jubé qui s'élevait sans doute à la droite du choeur.
Bien qu'aucun nom de facteur n'ait été découvert jusqu'ici dans les archives locales, le musicologue Jean–Marc BAFFERT avance, de manière très plausible, l'hypothèse d'une oeuvre de Jean de HERVILLE, facteur d'orgue champenois, installé en Bourgogne, au début du XVIIème siècle, auteur des instruments de Tournus et Louhans en 1628 ainsi que de Beaune, où il mourut; ce facteur aurait été présent à Orgelet entre 1627 et 1630.

L'instrument construit à Orgelet est celui que nous voyons aujourd'hui; il est déjà de taille modeste, même si nous ignorons, faute de devis, sa composition originale.
Le buffet, de style Henri IV, frappe par son élégance et sa décoration raffinées: en bois de noyer, il présente des chapiteaux à feuilles d'acanthe, des pilastres à cannelures, ornées de feuilles de cerisier et d'olivier, des écoinçons gothiques et une tourelle centrale en tire-point. Cet ensemble original laisse penser qu'il s'agit peut-être là d'un buffet antérieur à la reconstruction de l'église ou même de provenance extérieure, comme c'était parfois l'usage.
Surmonté d'une Vierge orante sur croissant de lune, le buffet laisse apparaître, sous la tourelle centrale, une tête d'angelot ailé, ainsi que les armoiries d'Orgelet, ajoutées sans doute postérieurement sur le soubassement; enfin, de part et d'autre de la Vierge, deux ostensoirs ajourés, ornés jadis de verres de couleur, complètent ce précieux meuble.
Sur le jubé, l'instrument se présentait, façade tournée vers la nef et les fidèles, alors que le clavier et la console « en fenêtre », situés à l'arrière, permettait à l'organiste de suivre et d'accompagner la liturgie dans le choeur.

Clavier de l'orgue historique de l'église d'Orgelet (Jura)L'orgue sera le témoin des multiples violences qui ravagèrent la Franche Comté du XVII ème siècle, depuis la guerre de Dix ans jusqu'aux guerres de conquête de Louis XIV. En 1674, lors d'une des dernières campagnes de la guerre de Hollande, des combats se déroulent à l'intérieur de l'église, et l'orgue, utilisé comme retranchement par les troupes royales, est pris pour cible, comme en témoignent les traces de mitraille retrouvées sur certains tuyaux de façade. Les dommages sont tels que, privé de soufflets, l'instrument restera muet jusqu'en 1724. Cette année-là, il est enfin fait appel à Marin CAROUGE, facteur établi à Ornans et fils de l'un des facteurs du roi, pour relever et réparer l'instrument. Le devis, heureusement conservé, précise qu'il approfondit le buffet d'un pied, refait un sommier en deux parties, reconstruit la mécanique et les soufflets, mais conserve scrupuleusement l'ensemble des tuyaux intacts de 1627, en y ajoutant un cornet, une trompette et une voix humaine.
A cette occasion, CAROUGE transporte l'instrument, désormais composé de dix jeux, sur la vaste tribune du fond où il se trouve encore aujourd'hui. En 1755, le facteur suisse SCHERRER procède à quelques réparations et dix ans plus tard, ajoute un pédalier en tirasse de huit « marches ». Pendant la Révolution, l'instrument échappe par miracle aux mutilations et destructions dont furent victimes tant d'orgues en France. Mais en 1855, les facteurs DAUBLAINE et DUCROQUET changent le clavier de CAROUGE, et suppriment plusieurs jeux de 1725 pour les remplacer par des jeux au goût du jour.

En 1932, le coup de grâce est porté à l'instrument déjà fort délabré, par BOSSIER qui le dénature un peu plus. Malgré l'entretien épisodique de Philippe HARTMANN l'orgue parvient jusqu'à nous dans un état proche de la ruine, sans pour autant cesser son service, assuré avec constance par Louis JANOD.
En 1985, grâce à Michel ROGER et à l'expertise de Michel CHAPUIS qui obtient l'inscription de l'instrument à l'inventaire des Monuments Historiques, la restauration est confiée à Bernard AUBERTIN, facteur d'orgues à Courtefontaine, qui, après démontage et au prix d'un travail absolument exemplaire de compétence, de goût et d'humilité devant l'oeuvre de ses prédécesseurs, retrouve l'instrument de 1725, heureuse synthèse du travail de CAROUGE et de HERVILLE.

L'orgue d'Orgelet offre aujourd'hui un témoignage précieux de la facture ancienne, avec l'un des rares pleins-jeux du début du XVII ème siècle. Ces sonorités poétiques et raffinées, alliées au tempérament ancien, dans l'acoustique exceptionnelle de l'église Notre Dame, conviennent tout particulièrement à l'interprétation du vaste répertoire pré-baroque et baroque européen, ainsi qu'à l'improvisation.
Avec l'orgue de Pesmes en Haute Saône, il est le plus ancien instrument de Franche Comté, et l'un des quelques rares instruments du XVII ème siècle en France. A ce titre il est l'un des joyaux de la ville d'Orgelet et sa réputation dépasse les frontières puisqu'il reçoit la visite régulière d'organistes et de facteurs du monde entier.

Robert DESCOMBES
Organiste conservateur de l'orgue historique d'Orgelet

 

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