En 1939/1940, être élève du cours complémentaire

Le 17 juin 1940 quand le marchal Pétain lance la radio "c'est le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat", les quatre classes du cours complémentaire n'ont pu commenter cette phrase, car depuis un mois environ, il n'y a plus de cours, cause de l'avance foudroyante des troupes allemandes... Même certains élèves ont fui à bicyclette et se sont arrêtés à Fix-Saint-Geneys, un village dix kilomètres du Puy. Une année scolaire risquait donc de se terminer sans examen ; il n'en fut rien ; un mois plus tard, en pleine période de vacances les candidats passèrent leur brevet à Lons La classe de 3ème en 1940 vient de terminer un matchet grâce aux acquis d'octobre à mai, furent presque tous admis.
Pourtant à la rentre d'octobre 39, le directeur du C.C. M. Pergeot, qui enseignait les mathématiques et les sciences, défendait les frontières du nord-est.

Il était remplacé par une jeune Normalienne sortante, excellente pour enseigner ses disciplines mais qui eut du mal s'imposer face à des garçons extrêmement chahuteurs. En langue allemande, professait une vieille fille originaire d'Alsace, qui faisait preuve de bonne volonté pour apprendre quelques mots et quelques règles à des classes qui refusaient le parler des ennemis.
Originale cette demoiselle qui sermonnait les filles et les traitait de jalouses et de menteuses quand elles dénonçaient des garons qui trichaient... (Elles avaient raison pourtant). Plus originale encore, quand se déplaçant exclusivement bicyclette, elle enfourchait rarement son engin car les descentes l'apeuraient et les montées l'essoufflaient.

 

Une classe du cours complémentaire à cette époqueMme Pégeot, institutrice au C.P. quittait ses jeunes élèves pour enseigner l'histoire et comme elle était l'épouse du directeur, on l'écoutait religieusement parler de Bismarck qu'on détestait immédiatement parce qu'il était Prussien.
Enfin, un homme dans cet établissement, jeune sportif pédagogue comptent, réformé parce qu'il avait un oeil de verre. Il eut le don de faire aimer le français, la géographie et le sport ; pour ce dernier il est vrai, il était en plein accord avec les garçons qui se passionnaient comme lui pour le football aussi les séances de gymnastique se transformaient très souvent en matches. Ceux qui l'ont eu comme professeur se souviennent de ses études de texte passionnantes, de ses cours de grammaire qui abolissaient les difficultés, de ses leçons de géographie, claires, précises, fouillées, qu'on retrouvait sur des cahiers d'élèves, véritables chefs-d'oeuvre.

Si à la rentrée 40, le collège, par suite de l'armistice, avait recouvré son directeur, si les externes et les pensionnaires étaient toujours aussi nombreux, cents détails prouvaient qu'on n'avait pas retrouvé l'ambiance d'avant-guerre parce que le gouvernement de Vichy, de Pétain, collaborait avec l'occupant et parce qu'à Orgelet, le général Karcher président de la délégation spéciale, était un partisan sectaire de cet ordre nouveau. Mais déjà sous le gouvernement de Reynaud, avant la débâcle les élèves s'étaient transformés en récupérateurs de vieux métaux pour forger l'acier victorieux ou en planteurs de pommes de terre dans les champs sous la ville. Est-ce pour les récompenser de leur patriotisme, qu'à la fin des cours de l'après-midi, on leur distribuait un verre de lait et un biscuit vitaminé ?

Et puis survinrent les contraintes : apprendre se réfugier sans panique dans les caves voûtées de l'établissement en cas d'alerte arienne, participer chaque lundi matin la cérémonie du lever des couleurs dans la cour du haut en chantant tue-tête le succès de l'année « Maréchal nous voilà », assister en rangs aux multiples cérémonies nationales auxquelles tenait le général Karcher en rerechantant « Maréchal... ».
Et puis on enleva des bibliothèques, comme au temps de l'Inquisition, certains livres « Le rêve » de E. Zola apprécié des élèves disparut de celle du cours complémentaire, on obligea ceux qui passaient des concours à prouver qu'ils n'étaient pas juifs.

Enfin naquit soudain un mouvement de révolte qui se traduisit par la disparition de la francisque, le nouvel emblème national, des couvertures des cahiers.
Mieux encore, à Lons, Orgelet fut applaudi et primé pour avoir récité avec brio en groupe « Ceux qui vivent » de Victor Hugo, une satire contre la dictateurs et ceux « qui n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule ».

ANDRE JEANNIN
Article paru dans "le Progrès" le 18 janvier 1998