Dans cette église de Saint-Christophe ont été chantés des "Te Deum" aussi bien à l'avènement des légitimistes, des orléanistes et de l'empireLe Jura - et principalement la population villageoise - est resté très longtemps conservateur et n'est devenu républicain que tard dans le XIX siècle. Ainsi, dans le canton d'Orgelet, la seconde République de 1848 a été accueillie avec réserve, voire méfiance et aux élections prési­dentielles de 1851, Louis Napo­léon Bonaparte qui représente les intérêts de la droite - et en particulier des royalistes - légi­timistes et orléanistes - obtien­dra 1826 voix sur 2053, soit 91% des suffrages exprimés. Les républicains modérés que sont le général Cavaignac et Ledru-Rollin devront se contenter res­pectivement de 153 et 56 voix, tandis qu'un seul électeur aura fait confiance à Lamartine (enco­re méconnu de la population provinciale pour ses talents d'é­crivain) et à Raspail (qui repré­sente les républicains « avan­cés »).
Rien d'étonnant alors que les habitants du canton soient favo­rables à l'Empire et souhaitent que le prince président devienne l'empereur Napoléon III. Et pour­tant, ce petit village de La Tour-du-Meix avait accepté dans l'allégresse la déchéance de l'oncle Napoléon Ier ; comme le témoigne ce compte-rendu de la délibération du conseil munici­pal du 24 avril 1814.
« M. le Maire a donné lecture des actes du Sénat prononçant la déchéance de Bonaparte ; le conseil a déclaré à l'unanimité qu'il adhérait pleinement aux actes du Sénat, qu'il renonçait dès ce moment à toute obéis­sance envers Bonaparte, comme aussi envers tous ceux de sa famille, qu'il énonçait son voeu formel pour que Louis, Stanislas, Xavier fut appelé au trône sous le nom de Louis XVIII, que le droit d'hérédité soit établi dans sa dynastie par ordre de progé­niture ».

Et pourtant ce petit village a applaudi le retour des Bourbons et a organisé une fête sensation­nelle le 1er mai 1821, à l'occasion du baptême de Mgr le Duc de Bordeaux, héritier de la couron­ne légitimiste. De 5 heures du matin à 23 heures ont duré les festivités avec tirs de nombreu­ses « boîtes », chant du Te Deum à l'église de Saint-Christophe, banquet, danses sur la place publique, concours sportifs, vin à loisir prodigué par des tonneaux placés sur la fontaine de la place...
Et le maire de terminer son rapport au préfet en le remerciant au nom de tous ses administrés de « nous avoir autorisé à donner un témoigna­ge aussi public et aussi éclatant de  l'ardent amour que nous portons tous à notre auguste monarque ainsi qu'à toute sa famille ».
Puis, tandis que les affaires locales (entretien des chemins vicinaux, fixation des rétribu­tions scolaires, réfection du clocher) occupent les conseillers municipaux, tandis que les habi­tants vaquent aux travaux des champs ou exploitent la forêt, les régimes se succèdent : Char­les X est remplacé par Louis Philippe que chasse la seconde République mal vue à La Tour-du-Meix, où l'on a peur des « rouges ». Et quand Louis Napo­léon deviendra président, les habitants découvriront soudain qu'ils sont bonapartistes, com­me le témoigne cette adresse envoyée au prince président deux mois avant sa nomination au titre impérial par un sénatus consulte du Sénat
« Permettez-nous, Prince, de ve­nir par l'organe de nos manda­taires, nous unissant à ceux qui déjà nous ont devancés et qui, comme nous, reconnaissent vo­tre supériorité, de déposer aux pieds de votre grandeur nos humbles hommages, nos félici­tations, nos remerciements et toute notre gratitude pour les services glorieux que vous avez rendus à la société menacée. Oui Prince, vous êtes incontestable­ment le choix suprême et incomparable que la providence a fait parmi son peuple de France pour lui confier les destinées, les intérêts divers de ce grand état. C'est ainsi que vous l'avez compris, Prince, car vous n'avez reculé devant aucun des grands et nombreux obstacles qu'il y a eu à surmonter.
La voie que Dieu vous a tracée, Prince, pour mener à bien cette haute et noble tâche, vous saurez la suivre, nous en avons l'entière confiance ; et quelle que soit votre décision à l'égard de la couronne impériale, que vous méritez à un si juste et si noble titre, elle sera accueillie avec transport, joie, confiance et soumission par tout ce qu'il y a de bon et d'honnête comme étant le résultat de l'inspiration médiate de Dieu lui-même ».

Bien sûr, plébiscité de la sorte, Bonaparte se devait le 2 décem­bre 1852, de devenir empereur et de recevoir le serment de tous les nouveaux et anciens conseil­lers municipaux qui jurèrent « obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur ». Alors, tous les événements importants de la politique inté­rieure et extérieure seront com­mentés au cours des réunions municipales très nombreuses. Indignation à la séance du 18 janvier 1858, quand on apprend l'attentat d'Orsini, ce qui motive cette lettre adressée à l'Empe­reur.
« Le conseil municipal de la commune de La Tour-du-Meix a été saisi d'indignation en appre­nant l'attentat dirigé contre les jours de votre Majesté et de la Majesté Impératrice. La provi­dence a veillé sur vous, elle a veillé sur la France. Dieux nous protège. Le danger que votre Majesté a couru nous fait sentir plus vivement, Sire, combien vous êtes nécessaire à la Fran­ce ; il a redoublé notre amour pour vous et pour notre Impéra­trice bien aimée. Vous vivrez de longues années, Sire, vous vi­vrez pour le repos et la gloire de la France ».
Joie, par contre, à l'annonce des victoires de Magenta et Solferino en 1859 et le conseil ne manque pas l'occasion de félici­ter l'Empereur :
« En deux mois, vous avez ac­compli de grandes choses. L'Au­triche étendait son influence sur les états d'Italie ; elle avait envahi le Piémont et menaçait Turin.
Votre Majesté ne pouvait aban­donner une alliée si fidèle. Vous avez volé à leur secours à la tête de votre vaillante armée ; votre génie et la bravoure de vos intrépides soldats ont triomphé de tous les efforts de vos ennemis. Modéré après une série de victoires, vous avez couronné vos exploits par une paix qui assure l'indépendance de l'Italie et procure à la France une gloire nouvelle. La France, Sire, est à la fois heureuse et fière de son Empe­reur ».

Il est vraiment difficile de se montrer plus partisan sectaire en déformant la vérité ; en désignant Napoléon comme un génie, alors que Thiers, il est vrai adversaire, le traite de « grande incapacité méconnue », et en évoquant les brillantes victoires, celle de Solferino en particulier a été « une véritable boucherie ». Après une nouvelle lettre du 6 juin 1867, fustigeant un nouvel attentat contre Napoléon III, le conseil municipal de La Tour-du-Meix ne s'adressera plus à l'Empereur. Il est vrai que le désastre de Sedan du 2 septembre 1870 provoquait la chute du  régime... et du conseil municipal bonapartiste de la commune. Et depuis, les habitants de La Tour-du-Meix sont de pacifiques et loyaux républicains.

André JEANNIN
Sources : Délibération conseil municipal de La Tour-du-Meix.
Article paru dans "Le Progrès"