Au temps où il était difficile de flirter

A la garderie du couvent, les garçons n'étaient acceptés que jusqu'à l'age de 7 ansQu'importe après tout que l'âge d'accueil des enfants en classe enfantine ait varié sans dépasser pourtant la limite de 7 ans puisque dans les années 30 c'était uniquement dans cette école dite « maternelle » ou plus localement surnommée la « Zile » déformation de l'Asile, que les fillettes et les garçonnets se trouvaient dans la même classe, parfois même dans la même table participant dans la même cour aux mêmes jeux.

Alors l'habitude de se voir chaque jour scolaire créait entre écoliers et écolières une sympathie réciproque et la « petite blondinette aux yeux bleus » toujours en compagnie de leur bambin devenait pour les parents sa « bonne amie ». Cette appellation signifiait pour le petit garçon celle qu'il préférait de toutes les autres filles parce qu'elle était mignonne peut-être, mais surtout parce qu'elle partageait ses jeux et qu'il s'était fait un devoir de la protéger... C'était surtout ce côté protecteur, mais aussi sa gentillesse, son absence de brutalité dans les jeux qui avaient dicté le choix de la fillette dans cette recherche du « bon ami »... Quelle chance alors, à cet âge, ni les institutrices, ni les parents, pas plus que les religieuses à la garderie des grandes vacances ne contrariaient ce premier « amour » qui ne durera que le temps d'une scolarité à l'école maternelle, mais dont on se souviendra, quand plus âgé, on retrouvera, un jour, sa première bonne amie mariée bien sûr !

Entrée de l'école de garçons à OrgeletD'ailleurs, c'est l'école primaire qui très souvent mit fin à cette précoce idylle. Les classes mixtes y sont proscrites. Les plaques de marbre au-dessus des portes d'entrée indiquent clairement école de garçons et école de filles et le confirme le mur-obstacle et paravent qui sépare les deux cours. Et puis, les institutrices qui sont persuadées que leurs élèves filles sont des poupées de faïence très fragiles les ont isolées dans un gynécée où elles jouent aux vestales ce qui horripile les garçons qui les ont finalement ignorées, se consacrant à leurs jeux au Mont-Orgier...

Pourtant survivront des « amourettes » de quartier, secrètes au début avec des retrouvailles journalières aux mêmes endroits pour le simple plaisir d'être ensemble, avec des promenades en tête-à-tête au Château et instants suprêmes de chastes baisers sur les joues. Mais faire le trajet de l'école à la maison ensemble puisqu'ils habitaient le même quartier suffisait à la naissance de soupçons et la fanfare vocale des écoliers claironnait à tous les échos « bon ami, bonne amie ». Deux réactions possibles alors : l'amourette devenait amour ou plus souvent, le garçon qui n'acceptait plus les sarcasmes de ses camarades, la fille qui craignait quel cette révélation lui attire les foudres de l'institutrice et des parents, cessaient leur fréquentation.

Au cours complémentaire, collégiens et collégiennes réunis ; flirt facile ? détompez-vous !Les très rares amours qui avaient triomphé de tous les obstacles de l'école primaire devaient alors affronter les quatre ou cinq années passées au cours complémentaire... On parlait maintenant de flirt, les anciens termes étant jugés puérils. Il semblait facile de flirter puisque filles et garçons devenus adolescents suivaient les cours ensemble dans la même salle. Faux espoir, car une discipline tracassière empêchait toute rencontre à l'intérieur de l'établissement. Les filles, dans la salle occupaient les places de devant, mais les professeurs remarquèrent bien vite que les crayons des garçons tombaient souvent et qu'ils se prosternaient longtemps pour les ramasser, alors on intervertit les places garçons devant, filles derrière... Finies les découvertes de cuisses et parfois de l'orée des petites culottes bateau.

Frustrés dans l'établissement, les garçons pensaient pousser leur flirt à l'extérieur, au cinéma par exemple. Hélas, 1968 était encore loin, il existait encore trop de tabous, si bien que la gente féminine si surveillée acceptât seulement les rencontres amicales et se méfiait des suppôts de Satan, les garçons. Alors, elles sont rares les « amours » d'école qui se sont terminées par un mariage, d'autant plus que les nombreuses années vécues ensemble dans les mêmes établissements scolaires ont trop mis en exergue les caractères, les défauts surtout, plus que les qualités.

André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 10 janvier 1999