Quand la vigne poussait

La place au vin à OrgeletLa « place au vin » est encore de nos jours le quartier le plus connu du vieil Orgelet. Il est riche d'un passé historique et l'originalité de son nom plaît. Il a pour origine une sorte de négoce d'autrefois, quand en ce lieu après les vendanges aux jours de foire et de marchés, on y vendait des vins du Jura amenés par leurs producteurs. Les particuliers, les aubergistes et les marchands venaient s'y approvisionner. La ville prélevait sur ces achats un droit d'encavage qui était pour elle une ressource importante. Ainsi en 1666, ce droit d'encavage était fixé à 1 franc par barral (contenance 65 litres).

Tout le vin consommé à Orgelet au Moyen-âge provenait donc du bas pays, mais alors pourquoi un article de la Charte de 1266 punissait d'une amende et de la confiscation des fruits tout acheteur de raisin hors de la ville ? La vigne existait-elle à Orgelet à cette époque?

On sait bien que des fêtes orgiaques en l'honneur de Bacchus se déroulaient chaque année au Mont-Orgier, mais l'histoire ne fait pas mention de vignoble, là où de nos jours, s'étend une forêt de résineux. Et pourtant, plusieurs articles de cette charte de 1266 laissent l'Orgeletain perplexe. Il y est précisé que « toute vente de vigne rapportera au seigneur un denier par livre du prix de vente » ou « que chaque porc, surpris dans les vignes pénalisera son propriétaire de quatre deniers » ou mieux encore l'article 32 stipule que « le seigneur ne peut concéder de vendanges que par bans et du consentement des bourgeois ». Toutefois, il peut vendanger ses vignes avant tout autre.

Courrier de Joseph Perrier "Vins en gros"Si les habitants d'Orgelet les plus âgés maintenant avouent que personnellement ils n'ont connu comme vignes que les pampres noueux qui se tordaient contre les façades des maisons ou grimpaient dans les jardins après une ossature en fer formant une tonnelle et produisaient un raisin noir de mauvaise qualité, ils confirment cependant que leurs proches ancêtres parlaient des vignes qui partaient à l'assaut des collines du château et de ses environs et même, un nouveau propriétaire d'une maison et d'un terrain qui l'entourait se souvient d'avoir arraché des sarments et de les avoir brûlés...

Comment garantissait-on la vigne contre les gelées printanières ? autre problème non résolu celui-là... Et puis fabriquait-on du vin avec ces raisins ? En tout cas on ne connaît pas l'origine de la pinte de vin que toujours d'après la charte, le nouveau marié doit offrir, le lendemain de ses noces, à la grand-messe paroissiale alors que son épouse fera cadeau d'une chandelle et d'un pain. Par contre, l'histoire locale révèle que le 11 mars 1738, pour le repas offert à Mgr l'Archevêque en visite à Orgelet le vin servi à table ne sera pas du pays : on a acheté du bourgogne, du champagne et du muscat.

Jusqu'à la Révolution, la ville était un centre judiciaire et administratif très important aussi se développeront les restaurants et les cafés. Ils seront encore très nombreux dans les trois premières décennies du XXe siècle parce que Orgelet deviendra un centre commercial très attractif avec ses artisans, ses marchands et ses foires pour le négoce du bétail et des grains. On comptera vingt-et-un cafés et restaurants en 1920 pour une population de 1230 habitants, un ou deux, parfois trois par quartier. Les maquignons qui venaient de conclure une bonne affaire au champ de foire après de pénibles marchandages, scellaient l'accord au café, en trinquant, verre de vin à la main ; les travailleurs de force - tanneurs, tourneurs et bien d'autres encore s'accordaient une petite pause à midi et en fin de journée dans un café sur leur passage, le vin consommé comme un rite à des heures servait de thérapie à la fatigue.Le café "Chez la Cécile"

On le buvait par « canon », chopine voire même bouteille, seul ou en compagnie de n'importe quel vin, pourvu qu'il soit bien rouge car « il faisait du bon sang » disaient ceux qui en consommaient trop et dont l'équilibre chancelant amusait les enfants. Comme ils ont souffert pendant l'occupation ces adeptes passionnés de la religion du vin, car les contrôles étaient sévères mais ils réussissaient parfois à attendrir les négociants en gros orgeletains qui leur accordaient clandestinement quelques litres supplémentaires ou leur offraient un ou deux verres de leur cave. Alors ils éprouvaient en le buvant ce nectar de la fraude le même plaisir que les enfants de cette époque qui venaient de toucher leurs dix raies de chocolat à la crème ou qui croquaient la pomme maraudée dans un verger.

André Jeannin
Article paru dans Le Prgrès le 24 novembre 2002