Un moyen de publicité d'avant-guerre : les lettres à entête

Jour de foire à OrgeletAu cours des trois premières décennies du XXe siècle, les artisans et les commerçants étaient encore très nombreux à Orgelet. Tourneurs sur bois, tanneurs, cordonniers, chapeliers, charrons, menuisiers, charpentiers, restaurateurs, très compétents dans chacune de leurs activités, pouvaient compter comme clientèles ou comme fournisseurs des Orgeletains bien sûr, mais aussi des habitants du canton ou de plus loin. On utilisait fort peu le téléphone pour passer commandes ou confirmer l'envoi et le prix du matériel ; les autos étaient rares, si bien que les sorties au chef-lieu n'avaient lieu qu'au jour de la foire, le 24 de chaque mois, une foire très active, très fréquentée où se rencontraient les populations de la montagne et celles de la plaine.

Carte de visite du mécanicien CARROZ à OrgeletAlors les transactions se faisaient surtout par courrier. Les lettres envoyées par la poste portaient, pour la plupart, une entête illustrée par une petite reproduction photographique. Elle informait de suite de l'activité de l'artisan dont le nom apparaît en hautes lettres esthétiques, parfois en écriture gothique tandis que les objets fabriqués ou le matériel proposé, le produit conseillé, sont mentionnés en caractères plus petits, mais toujours avec beaucoup de précisions. Ces entêtes sont en quelques sortes de petites enseignes que l'on retrouve encore jalousement conservées comme de précieux documents d'un passé familial qui remémore aussitôt l'activité d'un aïeul, artiste dans sa spécialité et dont la pâle photographie gît dans un tiroir.

Entête de courrier de Marius ChevillotPlus étonnant, on peut aussi trouver ces missives à entêtes chez les brocanteurs et dans les opérations « vide grenier » exactement à côté des anciennes cartes postales mais à un coût moins onéreux. Ainsi peut-on se procurer assez facilement ces lettres à entête. Celles de M. Marius Chevillot par exemple, que beaucoup d'Orgeletains encore de ce monde ont connu quand il habitait place du Bourg de Media. Sur le placard publicitaire, une illustration représente une scène de moisson en 1908 et la liste très fournie du matériel proposé doit intéresser au plus haut point le monde agricole, car pour l'époque il paraît moderne et fonctionnel : moissonneuses-batteuses ; appareils à moissonner « détournant la javelle » ; écrémeuses... et le client pourra déjà bénéficier du service après vente que laisse entrevoir le terme « réparations ». Dans une autre correspondance de M. Chevillot datée du 11 janvier 1914, on constate qu'à l'ancienne entête a été ajouté « Assurances accidents, vins et tourteaux, engrais ». Les Orgeletains se souviennent d'ailleurs que ces deux derniers termes étaient inscrits avec le même nom du vendeur dans un arc de cercle au dessus d'une des portes de la salle de la Grenette et que cette enseigne disparut, recouverte par Gymnase Theron, un ancien président du football.

Forge et charronnage Jules Daloz à EssiaGaragistes, tourneurs, restaurateurs orgeletains, et bien d'autres encore possédaient des lettres à entêtes publicitaires et même dans les villages, certaines tourneries importantes en étaient dotées ; les illustrations représentaient presque toujours les bâtiments. Témoin la tournerie de M. Gaillard à Nancuise, dite hydraulique car la Valouse lui fournit son énergie. L'entête insiste surtout sur une spécialité dessinée d'ailleurs ; ici le robinet bois et buis aspirateur dont on n'oublie pas de préciser que l'artisan est l'inventeur en le prouvant par cet-te mention « Breveté S.G.D.G. » (modèle déposé).

Laboratoire Grandclément - Pommade PhilocomeRetrouvée aussi l'entête publicitaire de la fameuse pommade Philocome qui, pendant les quarante premières années du XXe siècle, est passée pour la panacée contre la chute des cheveux et les pellicules. Sans polémiquer sur les vertus de cette pommade, comme sur celles de la dermophiline au cyclamen contre les taches de rousseur ou de la pommade souveraines contre les varices et les dartres, « découvertes scientifiques » énumérées dans l'entête, il faut bien avouer que l'énorme et superbe maison bourgeoise présentée en illustration, avec cette cour d'accès, ces cheminées d'usine qui fument, ces panneaux publicitaires à l'entrée, n'est pas le bâtiment de production situé lui dans une espèce de construction éloignée des logements dans un jardin sous le château tandis que la mise en boîte se contente d'une pièce exiguë qui donne sur la rue de la République au rez-de-chaussée. Tous les Orgeletains évidemment ont reconnu la belle maison bourgeoise.

Ainsi naît une publicité fallacieuse qui paraîtra même dans les journaux parisiens avec le prix des produits : la pommade Philocome coûtait 8,85 le pot ou 41,75 les cinq.

ANDRÉ JEANNIN