A l'époque où les cafés étaient nombreux

En 1920 pour une population de 1230 habitants, Orgelet disposait de 21 cafés, c'est à dire qu'il y en avait un, parfois deux par quartier. Et si l'on ne se réunissait pas dans ce genre d'établissement pour parler littérature comme au XVllle siècle, ni comme au XIXe pour boire et fumer en écoutant les tours de chant et les saynètes ou en ap-plaudissant les numéros acrobatiques et les ballets comme dans les cafés-concerts, les cafés orgeletains avaient chacun une spécialité et recevaient diverses catégories de consommateurs.

L'orchestre qui animait les bals entre 1925 et 1935 à OrgeletAinsi proches des «caf-conc», certains établissements accueillaient les danseurs le samedi soir et parfois le dimanche après midi. On valsait au café du Centre chez Gudefin, chez la Cécile au café de Paris, chez Midol, chez la mèrue Thomas à la Grande Rue. L'orchestre était composé de membres de la Fanfare municipale tous très jeunes, Abel Sorlin à la trompette, Fernand Roland au piston, Louis Monsnergue à la flûte et au bary-ton, Maurice Dalloz au violon, Maurice Defferrard à la basse, Marcel Reverchon au trombone à coulisse, Maurice Lugand à la grosse caisse.

Leur salaire consistait à un ou deux verres de bières par soirée. Tous ces joyeux musiciens ne sont plus de ce monde mais demeurent les procès-verbaux dressés par les gendarmes et confirmés par la municipalité aux établissements qui dépassaient l'horaire de 23 heures «ils ont occasionné du désordre, donc il leur est défendu d'organiser de nouveaux bals publics sans une nouvelle autorisation».

Chez l'Huberte, route de Lons, on se passait de cet orchestre ; on lui préférait le légendaire piano mécanique qui dévidait ses rengaines. D'autres estaminets étaient renommés comme dispensateurs de loisirs : le billard par exemple qu'on pratiquait en amateur chez la Cécile. Les champions préféraient le calme de la salle particulière de l'hôtel de Paris, chez Ganevard.

Là s'affrontaient les quatre mousquetaires : l'Albin, le Philippe, le Maurice et le percepteur de l'époque, défavorisé par sa taille et qui avait parfois le corps tendu comme un arc, un pied devant obligatoirement toucher le sol. Quand un des cracks tentait un «coulé» particulièrement difficile, planait un silence impressionnant et on n'entendait que le crissement prolongé de la craie bleue maquillant l'embout de la queue qui ménageait le suspense. Le coup réussi, des salves d'applaudissements lacéraient le silence.

Au café de Paris les amateurs de cartes préféraient la bête (un jeu qui porte bien son nom). Ils se retouvaient toujours les mêmes à rêver des quatre «matas» et leur rêve se prolongeait si tard que la Cécile devait leur cuire une saucisse. On jouait aussi à la belote à la manille et surtout au tarot chez le Joseph où l'on retrouvait toujours les mêmes, le Natole, le père Pontaroli, le Docteur, le Paul. Il y avait des pervers dont la devise était «plutôt faire perdre «le pousseur» que gagner. Et comme ils savaient que certains «allaient avec rien» ils souriaient d'avance à la déconvenue du joueur qui jurait «qu'on ne le reprendrait plus»... jusqu'à la prochaine donne.

A droite, le café des hallesAu Bourg de Merlia, sur la place devant le café des Halles, quelques farfelus avaient étrenné un jeu dont les règles ressemblaient à celles de la pétanque, mais les boules étaient remplacées par des cubes en bois, qui frappant le bitume, fuyaient la ligne droite, s'écartaient du cochonnet après des slaloms fantaisistes. Ce «sport» nouveau fut éphémère.

Enfin, il y avait les cafés-relais, ceux du Joseph et du Gaston où s'arrêtaient plusieurs fois par jour les tanneurs qui se rendaient à leur travail ou en revenaient pour boire sur le pouce, un «canon» de rouge ou une chopine ou mieux encore un petit verre de «gnole» qui donnait du coeur à l'ouvrage.

Le café Sarrand au bout de la rue du faubourg de l'OrmeIl y avait aussi le café des Jeunes de l'époque des restrictions, chez Quetquet ou la Lucie, où l'on était assuré de trouver l'omelette baveuse, les maquereaux au vin blanc, un morceau de pain et la bonne bouteille de montbazillac.

Il y avait le café de l'Orme, chez Sarrand, tranquille tout au long de l'année à l'exception des jours de foire et de la fête patronale du 15 août où il devait conquérir l'espace vital des granges pour accueillir le flot de consommateurs.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 31 mars 1996