Dans les années 30, on s'habillait des pieds à la tête à Orgelet

Magasin Gouttsolard à Orgelet en 1933Dans les années 30, Orgelet avec ses 1230 habitants n'avait pas dépassé en superficie les anciennes limites du XVIIIe siècle. Les quartiers périphériques n'existaient pas et la ville se pelotonnait en fer à cheval au pied du mont Orgier.

Aussi tous les commerces et artisanats se serraient dans les rues, fréquentés par les Orgeletains satisfaits d'y trouver ce qu'ils cherchaient. Le client, bien sûr, à cette époque était moins difficile, plus modeste dans ses achats que de nos jours et faute de moyens de locomotion, il n'allait pas à tout moment à Lons-le-Saunier faire ses emplettes.

Boutiques rue du commerce à OrgeletS'il était de tradition de ranger à Pâques son pardessus ou son manteau et à la Toussaint son costume ou sa robe d'été dans l'armoire qui empestait la naphtaline c'était pour les retrouver intacts la saison prochaine. On n'en changeait pas tous les ans, aussi les magasins de confection Futin place au Vin et Gouttsolard place Saint-Louis suffisaient, d'ailleurs les tissus et les coupes étaient de qualité. Ils sont nombreux les Orgeletains à avoir endossé leur premier costume bleu-marine avec un brassard blanc de la première communion et même celui de leur mariage «fait sur mesure» qui venaient d'un des deux magasins.

Mercerie de Mme Dodin à Orgelet vers 1910Pas de problème non plus pour les mères de famille, artistes en couture, ou spécialistes du tricot et du rapsaudage des chaussettes, les merceries abondent et sont présentes dans tous les quartiers. Les dames s'arrêtent d'abord à l'angle de la rue du Commerce chez la Marie Sattonay une vieille demoiselle au visage aussi percé que ses dentelles, et l'aident à fouiller dans des cartons, délabrés à la recherche par la mi-obscurité d'une pelote de laine dont on voit mal la teinte ou d'une grosse aiguille à tricoter. En cas d'insuccès, les voilà parties à quelques mètres plus bas chez les soeurs Mugnier, des demoiselles encore, aux vêtements aussi noirs que la devanture et les grands volets de leur boutique. Elles seront deux à vous conseiller et à vous aider à découvrir les trois boutons de nacre ou la bobine de fil Miege Dolfus dont vous aurez besoin, mais elles ne laisseront pas partir les clientes sans leur proposer un chapeau car elles se disent spécialistes en coiffures de femmes...

Mais si le couvre-chef ne plaît pas, pas de souci à se faire ; au coin de place au Vin la Marthe Vernier possède tout un assortiment de coiffures moins vieillot et là il fera clair pour les essayer sous les regards de la commerçante qu'on n'a jamais vu sourire. Finalement pour être habillé des pieds à la tête il manque les chaussures...

Magasin de chaussures David à OrgeletAlors, il suffit d'entrer chez le Jean qui a laissé son bras à la guerre de 1814/18, et qui à l'angle de la rue du Commerce et de la place Marnix a ajouté à son débit de tabac un rayon chaussures, du choix et de la qualité. Comme le magasin est exigu, on n'a pas pu y loger tous les cartons alors la brave Mme David aux grosses lunettes de myope, après une génuflexion au pied du client doit s'élever vers le ciel - les étages supérieurs du bâtiment - pour dénicher les souliers de la forme et de la pointure souhaitées.

A quelques mètres se situe le magasin Vent ou Vant, selon la fantaisie du peintre qui a réalisé l'enseigne. Pièce unique, cartons rangés comme des pièces de musée; de là, un escalier descend dans l'échope où les deux frères en tablier de cuir martellent une semelle, ajustent un talon, clouent un fer aux chaussures qui viennent d'être achetées.

Les cordonniers gagnaient bien leur vie mais les deux sabotiers du pays, le rondouillard M. Prudent au début de la rue du Collège et le gendarme en retraite Lucien Volatier rue des Fossés faisaient aussi de bonnes affaires avec les cultivateurs, les passionnés du jardinage et les écoliers, l'hiver. A travers la vitre de leur atelier-boutique on les voyait tarauder l'ébauchon au vilebrequin, puis creuser le sabot, façonner les pointes et les semelles au paroir puis affiner la chaussure avec la langue de chat, le boutoir et la gouge.

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès du 7 janvier 1996