Il y a soixante, la cure...

Rue des Prêtres, entre la quincaillerie aux aspects de catacombes de la «mère» Jeannin-Buffet et l'atelier d'un énigmatique serrurier dont personne ne se souvient et qu'évoque pourtant la seule enseigne d'une époque révolue se situe le presbystère plus communément appelé «la cure». C'est un important bâtiment aux vastes pièces parcimonieusement éclairées par d'étroites et hautes fenêtres. On y accède par de larges escaliers de pierre. Une porte monumentale s'ouvre sur la rue des Prêtres et, par derrière, après avoir franchi un jardinet, une autre porte, plus modeste débouche sur la rue de l'abbé Clément. C'était bien sûr la demeure du curé de la paroisse et de son vicaire, l'abbé comme on disait. Dans les années 1930, le curé Charles Pelot, un homme très grand, portant soutane noir, visage sévère, en imposait parce qu'il avait une haute idée de sa fonction. L'église et la cure étaient son domaine et il s'y comportait un peu en dictateur. La plupart de ses paroissiens le craignaient mais le respectaient... même les abbés qui dépendaient de lui, abbés dont on ne se souvient guère si ce n'est l'abbé Dey victime d'un accident de moto dans les années 1935 ou 1936, dont le portrait sur carte postale a figuré bien longtemps sur le guéridon ou la commode de nombreuses chambres orgeletaines.

La cure était aussi le domaine du Cercle catholique, association d'hommes de tous âges qui avaient la foi et qui se retrouvaient deux fois par semaine pour réviser les chants liturgiques, accompagnés à l'harmonium par le curé Pelot. C'était aussi là, dans une pièce, que les sportifs du Cercle qui pratiquaient le basket, discutaient de tactique. L'équipe s'appelait «les trois épis» et les maillots étaient ornés d'un écusson arborant sur fond bleu, les trois épis d'orge, emblème d'Orgelet. Cette formation eut une existence éphémère, seul le football avait droit de vie et faire partie de l'équipe de basket condamnait le joueur à l'ostracisme : les dirigeants du Football-Club de l'époque, anticléricaux irréductibles n'hésitaient pas de se priver de leurs meilleurs joueurs parce qu'ils avaient participé à une scène de théâtre jouée par le Cercle catholique.

Car pour se procurer des ressources, le Cercle catholique organisait des séances théâtrales. Les répétitions se faisaient à la cure... Le rôle des femmes était tenu par des hommes déguisés qui s'efforçaient d'aiguiser leur timbre de voix. Etonnante assistance à ces représentations mises à l'index par la partie de la population qui «bouffait du curé».

Dans une pièce de la cure, était placée une table de ping-pong et un jeu de billard. Les adhérents au Cercle catholique venaient s'initier à ces sports ou bien s'ils ne leur plaisaient pas, ils jouaient aux cartes. C'était cette même pièce qui accueillait les jeunes scolaires les jeudis pluvieux. Ils s'entraînaient au ping-pong mais préféraient «faire fortune» à la quille placée sur le billard, surmontée des mises. Une circonférence tracée à la craie sur le tapis vert, dont la quille était le centre limitait un espace que devaient dépasser les pièces qui chutaient en même temps que le support abattu par la boule blanche qui avait précédemment heurté la boule rouge. Les gains réalisés étaient immédiatement troqués contre les bonbons nouveaux de la «Clone» la Charlotte ou la petite Elise.

On n'allait pas toujours pour se divertir et les candidats à la première communion y subissaient leur premier examen devant des hommes en robe noire qui avaient l'art d'extirper de la mémoire les connaissances acquises au catéchisme et d'ausculter l'âme pour déterminer le degré de foi... C'était un peu l'image du jugement dernier que donnait cet examen de côté «enfin avant Noé, le curé Pelot imposait à trois élèves persque tous les soirs une répétition des matines qui seraient chantées en solo à la messe de minuit. Que de primo tempore, consolamini, consurge ont été préchantés dans cette salle de la cure.

C'est bien terminé, la cure a été vendue à un particulier et le curé demeure à l'ancien couvent. Autre lieu, autre vie...

ANDRÉ JEANNIN
Article paru dans Le Progrès le 16 novembre 1997