La grande rue, dans les quarante premières années du XXe siècle était probablement la plus originale d'Orgelet. Faisant suite à la rue de la République, elle présente deux aspects fort différents...

La Grande Rue d'OrgeletLes trois quarts de cette rue ressemblent aux autres artères locales avec le magasin d'alimentation de la petite Elise, un véritable capharnaüm où s'approvisionnent en caramels mous à cinq centimes pièce les écoliers avant de rejoindre leurs classes, avec le café Midol où s'arrêtaient, le matin, les tanneurs, avant de commencer leur journée de travail pour ingurgiter rapidement un petit verre de marc, avec l'usine Mouret à ses débuts, qui employait déjà une vingtaine d'ouvriers et s'était spécialisée dans la fabrication des bobines, avec ses artisans-tourneurs qui, dans le vrombissement des rotatives, tournaient de l'aube à la nuit les « moines » et les « bibis ».

C'était là aussi qu'on trouvait deux des bâtiments les plus importants d'Orgelet : la gendarmerie, occupée depuis une délibération du conseil municipal du 18 août 1851... et qui fait surgir des images souvenirs : gendarmes parcourant les rues et les chemins au trot de leur cheval. On les voyait aussi, brosse en main, soigner et lustrer le poil de leur monture qui piaffait d'impatience, attachée par un licol à un anneau scellé au mur.

Et puis pendant la guerre parce que les chevaux avaient été réquisitionnés, ils se déplacèrent à bicyclette. On se souvient de ces cyclistes en pélerine noire et en leggings serrées aux mollets qui ne faisaient respecter que très timidement les ordres de Vichy dont certains, MM. Desvignes et Decercle, pour avoir rallié la Résistance furent déportés et assassinés. Faisant suite à la caserne et appartenant au même bâtiment - l'ancien couvent des Bernardines - les écoles primaires et maternelle et depuis 1885 un collège maintenu par un arrêté ministériel de 1892 donneront une activité importante à la rue aux heures d'entrées et de sorties des élèves.

La Grande rue d'OrgeletLa grande rue du bas, à cette époque, fait songer à un hameau à l'activité essentiellement agricole. Les bâtiments sont des maisons-fermes aux nombreuses et larges ouvertures en demi-cercle qui sont les entrées des granges, celles plus petites et rectangulaires des étables. Devant les portes stationnent les « barias » pour véhiculer le foin ou le blé tirés par des boeufs accouplés sous le joug, qu'on appelait presque toujours « Bayard et Bouquet ». Des poules intrépides picorent au milieu de la route ou cherchent les graines dispersées entre les pavés des cours ouvertes.

Comme dans les villages de jadis s'exhalaient des odeurs d'herbe coupée, des moissons mûres, ou bien les âcres senteurs des fumiers qu'on sortait des étables ou des purins qui s'écoulaient dans une espèce de rigole en pierres. Les loisirs étaient rares car les travaux de la ferme étaient harassants et raréfiaient les contacts avec les autres habitants "les citadins". Peut-être, aussi, était-ce la raison de l'indifférence, parfois même de l'animosité, des enfants ruraux, sages, calmes, amoureux des champs et des bois envers ceux de la ville, espiègles, turbulents, attechés aux ghettos de leurs quartier.

De nos jours, la grande rue orpheline de ses commerces, de ses usines, de sa gendarmerie, de ses écoles primaires et maternelle, de ses bâtiments agricoles, a perdu son originilaité... Elle n'est plus qu'une rue résidentielle où comme partout les géraniums ensanglantent les balcons et où d'autres fleurs décoratives distillent leurs parfums.

Les habitants, surtout ceux du bas, ne sont plus des ermites travailleurs, ils prennent le temps de discuter avec ceux des autres quartiers et les enfants , sympathisent au sein des nombreuses associations.
 

André Jeannin
Article parue dans Le Progrès