L'hôpital et les tanneriesIl est, au bas de l'agglomération orgeletaine, un quartier baptisé « Les Tanneries ». C'était avant l'apparition de celui des Closeys né de la construction du barrage de Vouglans, donc très récent, un îlot de bâtiments appartenant à des patrons tanneurs locaux qui n'y logeaient pas mais s'en servaient comme ateliers. Seule, une exploitation agricole qui pratiquait de multiples cultures et l'élevage semblait déplacée dans cet espace industriel au passé économique prestigieux quand le travail du cuir était l'activité principale d'Orgelet et une des plus importantes du département.

De nos jours, tous les anciens tanneurs ont disparu et il ne reste que quelques photos souvenirs, jaunies par le temps que conservent dans des tiroirs de commode Les tanneurs d'Orgeletleurs descendants ou des cartes postales, précieuses reliques, du photographe des années 20, M. Tournier. Heureusement d'ailleurs, car s'il y a quelque vingt ans, le hameau des Tanneries conservait encore les vestiges de ce travail du cuir, il n'en reste plus maintenant, ce quartier est devenu résidentiel. Il surprend d'ailleurs par le contraste des façades des anciens bâtiments fraîches, esthétiquement colorées, ajourées de grandes baies ou de nombreuses fenêtres et celles de maisons délaissées lépreuses, aux fenêtres orphelines de vitres remplacées par des planches, aux portes disjointes maintenues fermées par des chaînes et des cadenas, aux escaliers aux marches de pierre branlantes.Tanneur à Orgelet

 Il est impossible de pénétrer dans ces ateliers ou même de jeter un coup d'oeil à l'intérieur afin d'apercevoir le moindre bassin où trempaient les peaux, le sol pavé où ruisselait l'eau, les outils très spécifiques que maniaient les hommes « au tablier de cuir »... et même le musée qui a présenté pendant quelques années ces accessoires n'existe plus, fermé, comme d'ailleurs l'ancien et vaste bâti-ment désaffecté depuis long-temps utilisé pour foyer des jeunes et sur la façade duquel cascadent des coulées de suie.

On ne voit plus trace non plus des fosses profondes cerclées de fer où macéraient les cuirs dans un bain acide aux fortes exhalaisons ; des pelouses bien soignées et des gazons bien verts les ont recouvertes à jamais et l'enfant joue où trimait autrefois l'ouvrier tanneur... Un ruisseau coule toujours, joyeux, oisif, dérangé par des oies bruyantes qui s'y baignent. Seule la grande ferme qui existe là depuis fort longtemg et l'atelier récent d'un sculpteur ogeletain troublent de leurs bels ces lieux et étouffent le choc lancinant de l'eau qui tombe un bassin jusqu'à ce qu'elle remplisse, désormais inutile.

Les tanneurs d'Orgelet Alors d'ici quelque siècle peut-être les noms même du quartier et de ses rues : Gevin et des Tanneurs seront effacés et ne demeureront comme souvenirs de ce patrimoine la chapelle Saint Crepin à l'église pendant longtemps baptisée chapelle tanneurs, celui du lieu-dit en « Gevin » depuis des décennies cependant sans son lavoir, avec son ruisseau oisif canalisé et le plateau de l'Étang dont on conteste l'orthographe car c'est sur celui-ci qu'on faisait sécher les tans, résidus de l'écorce de chêne qui servait à la fabrication du cuir donc plateau des tans... Rien n'est moins sûr car dans une libération du conseil municipal du XIXe siècle on parle comme travaux à effectuer, assèchement et curage de l'étang de Gevin. Alors ? « sur l'étang » ou « sur Tans » ?

La sèche du PoussecQu'importe après tout ! Ce qui est une certitude c'est que la naissance de cette industrie date du Moyen Âge. Des parchemins de cette époque confirment que les tanneries et les mégisseries favorisées par d'excellentes eaux et les cordonneries aussi jouissaient d'une réputation Iointaine. C'est le ruisseau de Gevin qui explique cette activité dans le vallon et les tanneries orgeletaines seraient un cadeau de Jupiter puisque la source de ce petit cours d'eau lui était consacrée. Et puis deux ou trois siècles tard un adage affirmait d'abord que l'eau de Gevin valait du vin - là c'était pour la rime - car les tanneurs ne devaient pas être d'accord - et pour cette raison on transforma l'adage en « vaut de l'or » plus acceptable car les patrons tanneurs faisaient partie de la haute bourgeoisie orgeletaine très aisée. Les tanneries s'installèrent donc dans ce vallon, assez loin du bourg pour qu'il ne soit pas « atteint par la puanteur ».
 

André Jeannin
Article paru dans le Progrès le 24 février 2002